Imre Kertész réaffirme sa conviction qu'Auschwitz n'est pas qu'un moment de l'Histoire qui peut être dépassé : avec lui une certaine idée du Mal s'est enracinée dans les consciences, contaminant pour longtemps les valeurs fondamentales de l'Occident.
RESUME de Le chercheur de traces
Un homme retourne dans une région où, longtemps auparavant, ont eu lieu d'indicibles crimes.
Quel est son malaise ? Quelle est sa mission ? Il parcourt la campagne, interroge les habitants, scrute les paysages, croise enfin une femme étrange au voile de crêpe dont le père, le frère et le fiancé ont été victimes des assassinats commis en ces lieux... Evoquant Kafka et Beckett, mêlant allégories poétiques et humour cruel, Le Chercheur de traces est à la fois récit d'investigation quasi archéologique sur les sites de l'innommable (d'ailleurs jamais nommé), lancinante méditation sur la Faute, sur la dévoration du vécu par le vivant et sur l'inexorable culpabilité du rescapé.
Sa profondeur concise et sa virtuosité dans l'implicite font de ce texte un chef-d'œuvre.
Lorsqu'il a reçu le prix Nobel de littérature en 2002, Imre Kertész travaillait sur un livre dont le titre provisoire était Felszámolás, qui signifie Liquidation. Et c'est sous ce titre que paraît aujourd'hui en français cet ouvrage, le premier achevé depuis la consécration suédoise. Jusque là Kertész, né à Budapest en 1929, était connu pour son roman Être sans destin paru aux éditions Actes Sud, comme l'ensemble de son oeuvre traduite de façon magistrale en français.
Ce livre fortement autobiographique narrait la déportation à Auschwitz-Birkenau d'un garçon juif hongrois de quinze ans. L'expérience de l'horreur concentrationnaire vécue par un être à peine sorti de l'enfance et de fait incapable d'en analyser les rouages, d'énoncer la condamnation morale attendue. Il en résultait un texte bouleversant éclairant d'une lumière singulière et noire l'entreprise génocidaire. Dans la Hongrie communiste des années soixante-dix, cette vision insolite, une écriture aux antipodes de l'académisme, le ton volontiers ironique de Kertész ont rencontré l'hostilité : l'ouvrage trouvera un éditeur après avoir été refusé mais il mettra longtemps à sortir de l'anonymat. L'auteur traverse alors une crise personnelle, et doit lutter pour retrouver ses capacités créatrices : ce sont quelques uns des thèmes du Refus, autre ouvrage majeur de Kertész, deuxième volet d'un triptyque qui se clôt avec Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, un livre qui énonce le renoncement à la paternité, le refus de faire naître un enfant dans un monde qui a engendré Auschwitz.
L'enfance, les enfants sont les grands absents des livres d'Imre Kertész, irradiés par l'astre noir qu'est le camp de la mort. C'est à Auschwitz que vient se fracasser la jeunesse de Gyorgy Köves, le double de l'auteur, détruisant à jamais en lui toute possibilité d'innocence. Celui qui a survécu à cette expérience revient amputé de sa part la plus vive et porte le fardeau d'un savoir impossible. De même, il y aura désormais pour le monde des hommes, pour l'espèce humaine un avant et un après Auschwitz. Kaddish est la prière dite pour les morts dans le rituel juif : Imre Kertész la prononce à sa manière au milieu de ce qui reste un champ de ruines des valeurs humaines, où se profile encore le spectre des miradors et des cheminées du camp. Dans Le Chercheur de traces, paru en 2003, il était question d'une enquête menée par un mystérieux " envoyé " pour exhumer les vestiges d'une catastrophe qu'on a voulu occulter. L'auteur avait ainsi composé un récit allégorique contre l'amnésie et la dénaturation de la mémoire par l'industrie du divertissement.
Avec Liquidation, son nouveau récit au titre et à la tonalité crépusculaires, à l'écriture toujours exigeante Kertész va plus loin encore dans la dénonciation implacable des illusions : sentiments, liens sociaux, création artistique, rien n'est authentique aux yeux de B., l'un des deux personnages centraux de ce livre. B. est traducteur et écrivain. Un jour il remet à l'éditeur Keserü (dont le nom signifie amer) le manuscrit d'un récit dans lequel il expose " son idée de base selon laquelle le Mal était le principe de la vie. Toutefois son récit était l'histoire d'un acte moral, c'est-à-dire une manifestation du Bien. Il disait que dans la vie, dont le principe était le Mal, il était possible de faire le bien, mais seulement au prix de la vie du bienfaiteur. " Il faut dire quelques mots sur cet écrivain B. dont le tragique de l'existence tient tout entier dans les conditions mêmes de sa naissance miraculeuse : il est né dans un baraquement du camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau, ne sait presque rien de ses origines et a grandi dans un orphelinat. B. est la lettre que les nazis ont tatouée sur la cuisse du nourrisson qu'il était. La cuisse, car l'avant-bras n'offrait pas l'espace nécessaire pour inscrire le numéro de matricule. Sa vie tout entière repose donc sur un oxymore (qui sonne ici comme occis-mort), l'alliance de deux principes inconciliables. Il se refuse à donner un caractère exemplaire à cette vie, à écrire comme le lui demande Keserü sur ce qui relèverait d'un symbole rédempteur, une image d'un " kitsch " intolérable : " Les kapos déposent leurs bâtons, leurs fouets et, tout émus, ils lèvent au ciel le bébé en pleurs. " Pour B., " cela s'était passé et pourtant ce n'était pas vrai. (...) Un grain de sable tombé dans le mécanisme à broyer les cadavres. Quel intérêt pouvait avoir sa vie, cet accident industriel unique en son genre qu'il devait à quelques dignitaires du camp ? "
La trame narrative de Liquidation se déroule en un lieu et deux temps : Budapest en 1990, tout de suite après la chute du système totalitaire et quelques années plus tard, en 1999. La structure du récit est à la fois complexe et très subtile : il s'ouvre sur l'image de Keserü à sa fenêtre contemplant une rue d'apparence sordide. Une scène qui convoque Beckett. Keserü, qui souffre d'un sentiment aigu d'irréalité dans sa propre vie, est captivé par les faits et gestes de clochards, " fasciné comme un voyeur " et empli d'" un sentiment de culpabilité, une sorte d'attirance répugnante. " Quand il parvient à s'arracher à ce spectacle , en cette matinée du printemps 1999, c'est pour feuilleter le manuscrit d'une pièce de théâtre intitulée " LIQUIDATION ", " comédie en trois actes " dont " l'action se déroule à Budapest, en 1990. " Ce texte fait partie du testament littéraire de B., un ensemble de manuscrits que Keserü a récupérés juste après le suicide de l'écrivain. La pièce met en scène les faits et gestes des amis de B. cherchant à élucider le mystère de ce suicide et la quête acharnée de Keserü pour retrouver le roman ultime, décisif, que B. a selon lui forcément écrit avant de mourir : " il était un écrivain, un véritable écrivain, or les écrivains achèvent toujours leurs oeuvres, qu'il s'agisse de plusieurs milliers de pages ou de quelques brèves lignes. " Kertész fait preuve d'une virtuosité discrète pour enchâsser la réalité dans cette comédie qui distille les prédictions de son auteur défunt.
Nous sommes à Budapest, en 1999. L'écrivain B., qui s'était suicidé peu après les bouleversements de 1989, ne cesse de hanter l'esprit de ses amis. Surtout celui de Keseru, éditeur qui cherche désespérément à publier les œuvres posthumes de l'auteur admiré sans jamais y parvenir, tant l'économie de marché a pris le dessus. En dernier recours, Keseru essaie de mettre la main sur le roman que, selon sa conviction, B. a dû écrire sur ses origines, sur l'origine de son mal-être. Car B. est né à Auschwitz, en 1944, dans des circonstances absurdes, et sans jamais connaître sa mère. Ce texte-là saura-t-il enfin garantir la postérité à l'ami disparu ? Commence alors l'enquête de Keseru auprès des femmes qui ont le mieux connu l'énigmatique B. Dans ce poignant chef-d'œuvre, qui appréhende les suites tardives d'une tragédie vécue au seuil de la vie, Kertész donne pour la première fois une large place à la voix des femmes, épouses et amoureuses, elles aussi habitées par les différentes faillites de leur existence.
Biographie de l'auteur
Né dans une famille juive de Budapest en 1929, Imre
Kertész a connu la déportation en 1944. Ecrivain de
l'ombre pendant quarante ans, il a reçu le prix Nobel
de littérature en 2002.
On referme Liquidation avec le sentiment d'avoir vécu une éprouvante aventure de l'esprit.
Insensiblement, la pièce de B. cède la place à d'autres formes narratives. Les didascalies servent de transition vers le récit qui s'ordonne autour de la quête de Keserü. Dans ces passages Kertész use d'une grande liberté d'écriture, mêlant discours et récit, dialogues et monologues, narration à la troisième personne et confessions. C'est à travers ces dernières qu'on apprend à mieux connaître l'éditeur Keserü, le lien (qu'il nomme lui-même " dépendance ") très étroit qui le lie à B., et l'amène à se demander s'il a " encore le droit de vivre, du moment que (B.) est mort. " Au cours de son enquête, Keserü va se rapprocher des deux femmes qui ont longtemps côtoyé B., Sára et Judit, la maîtresse et l'ancienne épouse de B.. Dans cet univers d'hommes désespérés, hantés par le Mal, défaits par la perte des idéaux, ces femmes s'efforcent de maintenir le souffle de la vie, de détourner leur marche vers l'abîme. Elles vont du côté de la vie, mais justement la vie est pour B. ce qu'il y a de plus haïssable : " Tu as serré dans tes bras un mort, Sára, et tu as essayé en vain de le ramener à la vie. (...) je voyais tes tentatives inutiles et je parvenais à peine à étouffer le rire qui gonflait dans ma poitrine. (...) Tu as été pour moi un grand soutien dans cet ignoble camp de concentration qu'on appelle la vie. "
Judit avait épousé B. parce que juive et fille de déportés, portant le fardeau de la tragédie familiale, elle avait voulu auprès de lui " vivre Auschwitz à Budapest. " Au fil des ans elle désapprend à vivre. Jusqu'au jour où, mue par un réflexe de survie elle quitte B. et se réfugie dans une vie bourgeoise. Judit qui est médecin épousera un architecte rencontré au cours d'un voyage en Italie. Mais par la volonté de B. elle sera doublement son exécutrice : c'est elle qui lui procure la morphine qui l'emportera ; c'est elle aussi qui à sa demande brûlera le manuscrit de son ultime roman dont elle aura été l'unique lectrice. Entre les mains de Keserü il reste la pièce de théâtre, écho fragmentaire de ce roman dont il ne connaîtra jamais la substance. Il devra chercher ailleurs les réponses à son questionnement sur son propre devenir. Peut-être dans les grains de poussière qui entrent par sa fenêtre ouverte et dansent autour de lui.
Comme pour les autres livres d'Imre Kertész, on referme Liquidation avec le sentiment d'avoir vécu une éprouvante aventure de l'esprit. Éprouvante, mais cependant pas désespérée : l'existence du Mal est l'axiome de départ mais on pressent qu'une porte étroite existe.
Le regard du maître hongrois porte si loin que l'horizon d'Auschwitz ne parvient pas à le borner. Liquidation est le livre d'un guetteur debout et libre.
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Husvai
et Charles Zaremba
Imre Kertész
1929 Naissance à Budapest
1944 Déportation à Auschwitz-Birkenau
1953 Premiers travaux d'écriture
1975 Parution en Hongrie de Être sans destin
2002 Prix Nobel de littérature
Imre Kertész
Né d'une famille juive de Budapest en 1929, Imre Kertesz a connu la déportation en 1944. Ecrivain de l'ombre pendant quarante ans, il a reçu le prix Nobel de litterature en 2002.
117 pages
ISBN-10: 2742743553
ISBN-13: 978-2742743551
Poids | 0,10 kg |
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