Le point de vue de l'éditeur:
Alouette part une semaine à la campagne ! ses vieux parents achèvent amoureusement la valise. Comment survivre à une telle absence ? quand Alouette paraît, le sourire se fige. Cette semaine sera celle où ils iront au restaurant, au théâtre. Celle où la mère jouera à nouveau du piano, celle où le père retrouvera son club, les beuveries et le jeu. Celle où la crise éclate. La dernière nuit le père la passe à hurler sa haine et sa pitié pour sa fille si laide, si désespérément seule, si malheureuse. Le lendemain, Alouette revient. Grossie, plus laide encore, plus grotesque. Tout le rentre dans l'ordre. Et les parents murmurent : " A tire-d'aile notre petit oiseau nous est revenu "
Pour Dezsö Kosztolànyi, détruire c'était créer:
HONGRIE. Nés d'un brutal court-circuit entre le quotidien et le merveilleux, les coups de crayon grinçants du chroniqueur jaillissent comme des éclairs. Entre surréalisme et «nonsense» à l'anglaise.
André Clavel , Samedi 23 Juin 2001
Il y avait, dans le Budapest du début du siècle, un café rococo nommé Hungaria qui servait d'officine à une petite tribu de doux dingues. Ils y faisaient les pitres et se soûlaient copieusement en apostrophant non moins copieusement l'humanité. Parmi ces joyeux chenapans, Dezsö Kosztolànyi (1885-1936) qui, tour à tour, a assisté à la Grande Guerre, à l'agonie de l'empire et au morcellement de la Hongrie. Un maelström où il a puisé les raisons de son légendaire scepticisme. Mais ce météore qui filait à la vitesse de l'Orient- Express, dormant dans les trains et sur les tables des tavernes, était aussi un monstre de culture. Tout, il avait tout lu. Traducteur, il sut en outre faire chanter Verlaine et Baudelaire en magyar, avant que le destin ne le punisse là où il avait si divinement péché: cancer de la langue.
Kosztolànyi, c'est l'ironie à bout portant. C'est également la grâce du papillon. Léger comme une bulle de champagne. Un jour, à la fin des années 20, on lui confie une rubrique dans une gazette de Budapest. Il l'appelle «Griffonnages». Cinéma muet avec battements de cœur (titre original non indiqué) réunit une cinquantaine de ces coups de crayon. Des pauvres ont dérobé, pour la dévorer, la carotte qui servait de nez à un bonhomme de neige. Un livreur en triporteur, après un dérapage incontrôlé, déverse sur le bitume une bouillie de 34 mètres où se mêlent des relents de semoule, de soupe à la tomate et de purée d'épinard – «le plus long déjeuner du monde». Un homme se ronge les ongles jusqu'au sang, court à la pharmacie chercher du sparadrap, soigne très méticuleusement sa plaie et, une heure plus tard, se tranche la gorge d'un coup de rasoir. Un paléontologue fauché se gausse d'être «un milliardaire du temps». Une dame en deuil, toute de noir vêtue, achète dans un kiosque un journal humoristique et le lit de A à Z avant d'aller se jeter dans le Danube. Un paranoïaque raconte une histoire qui prouve qu'il est vraiment paranoïaque. Sur un trottoir de Budapest, un écrivain rêve de héler les jeunes motocyclistes afin de «leur demander leur opinion sur le lyrisme tardif de Goethe».
Dix ou vingt lignes, parfois deux ou trois pages. Nés d'un brutal court-circuit entre le quotidien et le merveilleux, ces billets jaillissent comme des éclairs. Au programme: célébration de l'anodin, éloge de l'insignifiant, moralisme goguenard, rire jaune, dérision lapidaire, entre surréalisme et nonsense à l'anglaise. On apprécie, chez Kosztolànyi, l'art de l'élagage. «Dans notre métier, détruire, c'est créer», dit-il. Et d'ajouter: «Il faut toujours en prendre moins qu'on ne peut en emporter.» Flaubertien, l'auteur des Aventures de Kornel Esti? Evidemment, tendance Bouvard et Pécuchet.
L'autre veine de Kosztolànyi, c'est la comédie sentimentale. Assez grinçante, elle aussi. La preuve, cette Alouette (titre original: Pacsirta) que Viviane Hamy réédite dans sa collection Bis. Personnage principal: une pauvre fille qu'on appelait Alouette quand elle était petite, parce qu'elle chantait sans cesse. Elle a maintenant 35 ans. Elle est laide. Très laide. Elle vit confinée auprès de ses vieux parents. Un jour, pourtant, elle s'envole, grimpe dans le train, débarque chez son oncle qui l'a invitée pendant une semaine. Alors, ses parents en profitent pour faire la fête. Le jeudi soir, son père se paie une cuite carabinée. La semaine défile à toute allure, comme un lapsus au cœur d'une vie ratée. Là-bas, loin de chez elle, Alouette aurait peut-être pu connaître le grand amour. Mais non, quand elle revient, elle est encore plus repoussante, encore plus malheureuse. La parenthèse se referme, retour à la normale. Il ne s'est presque rien passé, et tout a été dévoilé, la solitude, le mal de vivre, la tragédie qui couve sous la plus désespérante des routines. Alouette, Alouette...
Avec tes ailes brisées, Kosztolànyi a fait un chef-d'œuvre.
Collection : BIS
Caractéristiques : 249 pages
11,5cm x 18,0cm x 1,5cm / 0,200kg
Isbn : 2-87858-206-3 / Ean 13 : 9782878582062
Poids | 0,25 kg |
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