Revue des Deux Mondes - Spéciale Russie
Parler de la Russie ? Cela fait si longtemps qu’on en parle... La Revue des Deux Mondes a été, en France, et cela depuis le début, l’un des lieux de réception privilégié de ce pays qui est un monde à lui seul. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ; un véritable fleuve pareil à celui qui traverse le livre splendide de Jean Blot qui vient de paraître (1) et où l’on reconnaît une toute-puissance du monde naturel sur les événements historiques. Il est vrai que Varlam Chalamov, l’inoubliable auteur des Récits de la Kolyma (2), l’un des grands livres du XXe siècle sur l’expérience du goulag, ne manque pas de souligner, malgré la souffrance et la solitude, la beauté extrême du désert sibérien. Luba Jurgenson, qui appartient à la jeune génération et qui est allée là-bas récemment, en a rapporté ce beau texte qu’on peut lire dans le présent numéro, tout comme Patrick de Sinety, voyageur attentif, a voulu, à Kaliningrad, retrouver les pas d’Emmanuel Kant : petites passerelles jetées par-dessus l’oubli et l’indifférence... Parler de la Russie aujourd’hui, c’est peut-être d’abord cela : tenter de ressaisir, à travers le temps et l’espace, des bribes d’histoires perdues et dont l’existence nous est particulièrement précieuse. Pourquoi ? C’est difficile à dire, difficile aussi bien à écrire. Sous le couvert de l’actualité, de Vladimir Poutine et de la guerre en Tchétchénie, il y a un continuum mystérieux, l’histoire en cours d’un continent vertigineux. C’est un peu de ce vertige que nous avons essayé de capter ici, aussi bien sous la forme d’observations toutes actuelles que de vues empruntant à l’histoire littéraire, à l’histoire de l’art. Sans céder au risque de la diabolisation ni à celui de la fascination pour un univers biface, d’un côté tourné vers notre monde occidental, de l’autre vers l’Asie. La Russie est-elle mal aimée ? Est-elle trop loin, malgré tout ? Sommes-nous devenus incapables d’entendre son histoire ? La guerre froide est derrière nous désormais, et une nouvelle époque est en train de s’écrire sous nos yeux. Après tout, Guerre et Paix de Tolstoï commence par un dialogue en français... Le moment n’est-il pas venu de le reprendre ? On vient de traduire la correspondance de Dostoïevski (aux éditions Bartillat) tandis que se multiplient les traductions d’auteurs contemporains : à l’heure où d’aucuns se préoccupent des destinées futures de l’Europe, la connaissance de tels textes est loin d’être négligeable : encore faut-il que l’on se montre à la hauteur d’enjeux qui ne relèvent pas seulement des équations de la géopolitique. Si un pays demande plus, c’est bien la Russie. Il ne paraît pas raisonnable de l’ignorer, sauf à se contenter de préjugés qui tiennent lieu de pensée véritable. Au moins aurons-nous tenté l’escalade, alors que la Russie est le pays invité du Salon du livre 2005 : ce numéro n’a pas l’ambition de faire le tour complet des questions ; mais s’il témoigne d’une réelle attention, c’est déjà une victoire sur l’ignorance.
Revue des Deux Mondes
Paru le 05/03/2005
193 pages.
Poids | 0,30 kg |
---|