Jores Medvedev
Broché / Sodi
Collection : Témoins
Que le dogmatisme sévisse en politique n'étonnera personne. De gauche à droite, beaucoup sont prêts à sacrifier la reconnaissance objective des faits à leur idéologie. De cette attitude découlent des stratégies qui entendent plier les individus et les événements à la théorie. Les applications pratiques du nazisme sont connues pour leurs conséquences meurtrières. Le stalinisme, pour sa part, a non seulement conduit ses opposants au goulag mais encore étouffé tout jugement critique dans la population.
Il est un aspect peu connu de la perversion qu'engendre dans les esprits la soumission aveugle au dogme politique, celui de son intrusion dans la science. Le cas du lyssenkisme est à ce titre exemplaire :
Trofim Denissovitch Lyssenko, biologiste et agronome soviétique prétendit démontrer l'inanité de la génétique "occidentale", c'est-à-dire du mendélisme, accusé d'être une science "bourgeoise". Ses vues furent, en dépit de leur absence de fondement scientifique, imposées officiellement dès 1939. Les authentiques généticiens furent considérés comme des "ennemis du peuple", plusieurs furent arrêtés et déportés.
Malgré leur aberration, les théories de Lyssenko, qui bénéficiait de l'appui de Staline, furent mises en pratique et provoquèrent l'effondrement de l'agriculture soviétique. Voici quelques-unes de ses affirmations :
- les plantes peuvent changer d'espèce (le blé se transformant en seigle, l'orge en avoine, l'aulne en bouleau...)
- quand une trentaine de glands sont semés groupés, ce n'est pas la concurrence qu'ils se livrent qui entraîne la survie du plus apte (ce serait contraire au principe communiste !), en fait les graines se sacrifient pour l'une d'entre elles (prétendue loi de "l'auto-éclaircissement").
- il n'existe pas d'hormones végétales, elles sont une invention des idéalistes.
Treize ans après la mort de Staline, Lyssenko soutenu par Khrouchtchev continua à sévir jusqu'au départ de ce dernier. Ce n'est qu'en 1965 qu'il fut enfin congédié du poste de directeur de l'Institut de génétique de l'Académie des sciences et que le lyssenkisme fut répudié.
Tout au long de la polémique qui régna entre partisans aveugles d'une science prolétarienne (soumise aux diktats de l'idéologie politique) et les véritables généticiens, des prises de position diamétralement opposées firent s'affronter les deux camps dans le monde entier. Le poète Aragon soutint avec acharnement le mitchourinisme (Lyssenko s'était appuyé sur les oeuvres du biologiste Mitchourine) tandis que le biologiste Jean Rostand pouvait, en ces circonstances, éclairer ses lecteurs de réflexions aussi sensées que :
"Mitchouriniens. Mon appétit de justice sociale ne saurait me faire accepter leurs sottises en biologie, mais leurs sottises en biologie ne sauraient faire tort à mon appétit de justice sociale."
"Ils croient que je défends la génétique mendélienne : je défends simplement la science contre une foi."
"La seule chose qu'un dictateur ne peut pas dicter, c'est la vérité."
"Il n'y a pas d'astrologues en URSS ; mais pourquoi faut-il que, dans le seul pays où les fausses sciences sont abolies, la vraie science soit falsifiée ?"
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