Sergei Essenine, « Poète paysan », symbole lyrique de la Russie!
La Ravine
Serge Essenine
Broché
Paru le: 01/04/2008
Editeur : Harpo &
ISBN : 978-2-913886-63-6 EAN : 9782913886636
Traduit du russe par Jacques Imbert
Ce qui distingue Essénine, c’est une force de rupture spirituelle et sociale qui se traduit dans une parole écartelée entre l’imprécation et le blasphème et la nostalgie de la sérénité perdue liée aux origines rurales du poète. L’écriture est extrêmement tendue, la langue violentée parfois et si le souci de l’image demeure, c’est celui d’une image pervertie, retournée jusque contre elle-même. D’où une tonalité très dramatique et révélatrice d’un profond désespoir.
La ravine est le seul roman de Sergueï Essenine, il l’a écrit à 18 ans (en 1913). Il a consacré le reste de sa vie à la poésie.
C’est un des meilleurs livres que j’ai lu, je ne pense pas d’ailleurs avoir déjà lu un livre comme celui-ci. C’est formidable, c’est à la fois frais et brutal comme le dit Odile des Fontenelles dans sa préface. Au fil des pages nous nous retrouvons dans la ravine, avec sa végétation, ses habitants… La campagne russe, les parties de chasse, les relations, les amours sont magnifiquement décrits.
« Le ciel embué affichait une couleur de merisier et la lune exsangue, brisée par la crête du coteau, s’amputait d’une moitié plongée dans le néant. » (page 22)
Les saisons se succèdent, et les paysages prennent leurs couleurs : « Le matin, lavé de neige, lança par la fenêtre les éclats de rire d’un soleil rouge sang ». (page 36).
Que dire de plus… « Les baies pendaient en grappes de sang coagulé ; les libellules stridulaient, les râles poussaient des plaintes angoissantes. […] Un élan bondit sur la mousse qu’il aspergea du jus sanguinolent des airelles ; sa large ramure, embarrassée par des tresses de chaume, frémissait. (pages 42-43)
C’est de la poésie : « L’herbe poussait des soupirs, les buissons tressaillaient et dans la Ravine le coucou solitaire s’endeuillait. »
Les hommes sont robustes, rustiques, mais aussi pudiques, la vie est dure, mais l’entraide est constante. Au milieu, de ces multiples personnalités, les coutumes sont fortes et peuvent briser des vies, certains pour y échapper doivent tout quitter. Des rencontres, l’amitié, l’amour. Tout y est.
Je n’avais rien lu de tel jusqu’à maintenant. Je n’avais pas envie de le quitter, je l’ai d’ailleurs lu deux fois, il me faut maintenant le rendre (il est malheureusement un peu onéreux pour moi, mais j’espère bien l’avoir un jour). Quel déchirement !!
Vous savez c’est le genre de livre, qu’il vous faut posséder, parce que si vous l’aimez vous ne vous lasserez jamais de le lire et relire pour retrouver les images, les odeurs, la musicalité des phrases... Enfin que dire de plus quand on est conquise !
Je veux aussi saluer l’éditeur, Harpo &, pour ce texte d’une part, et puis, comme vous le constatez sur les illustrations le livre est très beau, la mise en page est agréable, originale, et… et surtout, si vous êtes le premier à le lire, vous prendrez votre coupe papier ! Et cela s’appelle Bonheur.
1ère page :
Sur les franges du marais tourbeux et moussu les loups se glissaient. Le meneur brun tendit le museau et fit claquer ses crocs. La horde, silencieuse, avait flairé la proie.
Les hurlements sourds et les appels lugubres réveillèrent le pivert acagnardé aux creux d’un pin.
Du fourré, deux lièvres renâclant débuchèrent et s’enfuirent dans un nuage de neige vers la lisière.
Un convoi grinçait sur le calicot blanc du chemin ; les sacs à fourrage ballotaient sous les licols ; soudain, les chevaux délaissèrent leur pâture et dressèrent les oreilles.
Entre les mailles des buissons, de petits tisons sinistres s’allumèrent puis disparurent.
- Les loups, dit une grande ombre chancelante sous la lune.
- Oui, répondirent les gorges rauques de tousseurs planqués.
Au murmure des aiguilles de pin se mêlaient les craquements inquiétants d’une fragile couche de glace…
Dans l’isba du garde forestier, Vantchock chantait et buvait. Il demandait à Filip la main de sa sœur Olympia et sous le coup de l’alcool il faisait étalage de sa richesse.
Sur une table de planches brutes, le tord-boyaux pétillait dans une carafe à facettes. À chaque verre, Filip pressait sur ses narines un morceau de pain, le humait et l’engloutissait sous la toison épaisse comme de la mousse couvrant ses mâchoires.
La Ravine de Sergueï Essenine, Éditions Harpo &, Version française Jacques Imbert, préface d’Odile des Fontenelles.
Poids | 0,15 kg |
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